les herbes folles
Alain Resnais
Un beau film, un bon film où l'on passe de très jolis moments.
Rien d'urgent, non : que de l'essentiel !
Un film ludique et léger, quasi surréaliste qui traite du désir, des attentes, de l'imaginaire et des interprétations. Des choses sérieuses, graves, profondes vues à distance, comme si l'on s'en moquait, volontairement. Un film (et son réalisateur évidemment) qui joue à nous jouer des tours, en prenant le contrepied de nos attentes, et si le fil directeur était tout tracé, nous en sommes -spectateurs- pour nos frais ...
L'histoire pourrait être banale, un vol de sac à main, un portefeuille retrouvé, rendu par le commissariat à sa propriétaire et ... c'est tout ! Méprise !
Ce serait sans compter sur Georges Palet, homme au comportement décalé (magnifiquement interprété par Dussolier que j'ai rarement autant apprécié) qui se met à s'investir dans une relation chimérique avec cette femme (Sabine Azéma, très bien aussi) dont il a retrouvé les papiers. Il les ramène d'ailleurs au commissariat, ce qui nous vaut de très belles scènes, excellentes avec un Mathieu Amalric, parfait !
Palet est étrange, bizarre et attachant (sa passion d'enfant pour les avions, le goût des vieux films) et il nous mène par le bout du nez. On le suit volontiers, que ce soit dans ce qu'il réalise concrètement, dans ses hésitations, ou dans ses déceptions et ses regrets aussi après coup (l'épisode de la boîte aux lettres après le coup de téléphone initial).
Tout cela car Georges se fait des idées, il n'arrête pas et pense que ses désirs ou fantasmes sont partagés par cette inconnue à qui il a rendu service. On navigue ainsi entre le
ridicule, pas sérieux, et l'étrange, l'absurde à le voir ainsi "travaillé" par des pulsions
déraisonnables. Sabine Azéma donc joue le
rôle de Marguerite Muir (clin d'oeil cinéphilique of course) et va
décider de rencontrer Georges à la sortie de sa séance de cinéma, cela
nous vaudra une magnifique scène avec Palet/Dussolier qui lui déclare "Vous m'aimez, alors ?"... Puis ils iront prendre un café au bar du coin, presque bras dessus
bras dessous, moment magnifique, presque magique et surréel, émouvant et
poétique...
Est-ce que tout cela a eu lieu ou bien n'est-ce qu'un rêve ? On restera toujours en équilibre sur la crête, car tout
le long du film Resnais parvient à tenir l'ensemble sans que cela
bascule sur un registre ou un autre, et réussir cela permet de
garder la main sur tout un champ de possibilités et d'ambiguïtés. Sans trancher, car l'ensemble pourrait fort bien n'être un songe.
Belle réussite également que les registres en voix off : le récit avec Edouard Baer en narrateur, très bon, et quelques "réflexions qui font du bien" (Lire n'a jamais tué personne. Au contraire, ça aide à vivre")... Voix off aussi pour les pensées intérieures des personnages (Dussolier, Azéma) dont on perçoit les doutes, les interrogations ...
Ce film semble ne s'attacher à rien, ne rien nous raconter, être terriblement ténu et pourtant...Un film sur le désir, la remontée de rêve... Un film qui n'est peut-être que le vent qui agite les herbes folles dans tous les sens.