Objets -7
Le balai
Ce grand échalas passe en revue de près toutes les surfaces
domestiques, le plus souvent horizontales, carrelages, parquets et autres revêtements
modernes. Peu lui importe, il s’adapte.
Il accomplit sa tâche sans faillir et ne manque jamais à la
pelle et, lorsqu’il est "drivé" de main de maître, il n’en perd pas une miette, philosophe rigoureux... pour qui tout n’est que poussière.
Quelques chocs mémorables dans les encoignures lui font
redouter les plinthes. Et nous tairons les meubles bas qui l’éraflent car il
s’y glisse dessous à grand peine.
Car sa plus grande obsession est d’éviter absolument les
coups de pieds lâches et assassins que lui balancent les meubles et les tables,
procédés honteux qui lui ébouriffent les
poils, provoquant des douleurs lancinantes.
Il peut en perdre la tête, qu’il a parfois en bas, appuyé à
un simple mur de cuisine ou de buanderie, quand il n’est pas remisé dans un
placard, à jouer les utilités entre un seau retourné et boudeur et une serpillière molle et humide.
Un sort immérité, car cet as de la glisse réussit aussi à
slalomer entre les taches grasses que les sols s’ingénient à lui jeter en
travers des poils, sournoise insinuation visant à le faire passer pour le gominé
de service.
Si l’irréparable survient, son maître retrousse le manche et
la séance qui suit peut être un calvaire: décollé du sol, le balai est frappé
durement contre un mur pour l’en débarrasser d’agrégats repoussants qu'on aurait peine à identifier précisément...
Un vertige le prend, il pense à son cousin qui travaille chez cette vieille
sorcière: lui, au moins il voyage...
Mais ce ne sont qu’accidents finalement peu courants :
la plupart du temps, on le ménage.
Et quand tout est nettoyé, ratissé, qu’un combat de plus a été gagné,
le balai rejoint son réduit.
Là, accroché à une
pointe, il peut rêver Béjart et entrechats.