Sitting Targets - cd
Peter Hammill solo 1981
Une étrange évidence.
C'est toujours vrai 25 ans après. Et la rédaction de ces chroniques, diverses dans leur forme, variables dans l'appréciation, album par album, est à mon petit niveau une forme d'hommage, un témoignage de reconnaissance à un artiste profondément attachant, à l'approche musicale et poétique profondément originale.
Marquant pour qui entre dans son oeuvre labyrinthique.
J’avais découvert dans le
premier album (Enter K - 1982 - que je chroniquerai ultérieurement) la grande qualité des textes, et cette
voix, bien sûr qui, lorsqu’on s’y accroche ou s’accoutume, ne vous lâche plus. A cette première sensation s'ajouta le style très personnel de l'artiste, qui visiblement ne se sentait tenu par aucun standard autre que sa propre volonté créatrice, ce qu'il avait à exprimer, sans compromission, sans aucun renoncement à son intégrité. Ca s'appelle placer la barre très haut.
Alors si l'on se replace - même un peu artificiellement ou arbitrairement - dans l'évolution musicale de Hammill, on arrive avec cet album en quelque sorte au 2e palier d'un processus qui l'a amené à
une approche esthétique innovante entamée avec "The Future Now" en 78 suivi de "ph7" en 79 et "A Black Box" en 80. Trilogie expérimentale à forte coloration multi-instrumentiste solo.
En 1981, "Sitting Targets" inaugure une série où le son et l'approche sont résolument "rock", une trilogie complétée par Enter K en 82 et Patience en 83. Les tournées seront le témoignage d'un autre changement car PH revient aussi à une musique exécutée par un "beat group" appelé le K group.
Ce disque ne manque pas d'ambition, mais il se veut direct, il est finalement plutôt accessible mais je n'irai pas jusqu'à parler de compromis, c'est pas le genre de la maison. Alors ça claque bien au niveau son, on sent bien qu'on est au début des 80s, mais c'est loin d'être l'important.
Guitares acoustiques et
électriques excellentes, piano, des rythmes, de la cohésion et de la densité, on est
sur des titres courts, PH ne traîne pas, il va à l’essentiel. Les synthés sont
bien bruts, le sax pertinent, la batterie souvent très en
avant.
Si certains morceaux sont un peu opaques, lents à apprivoiser, dans un album
dont je trouve qu’il est bien charpenté, sans titre faible, et si la pression baisse parfois un peu, il n'y a jamais de vraie rupture dans l'intensité : chaque titre a sa place. On est en permanence à des niveaux
intenses et élevés, ça repart toujours et l'essentiel est bien de capter que nous avons certainement dans cet
album un des plus beaux tirs groupés réussi par Hammill dans la qualité des chansons proposées.
Extrait de la pochette intérieure du 33 tours -les titres de l'album
Des séquences fabuleuses
(l'enchaînement Sittin' Targets /Stranger Still /Sign), des lyrics où PH nous embarque dans
des histoires décalées, un peu fantastiques… Inspiration au rendez-vous, trouvailles sonores, de quoi intriguer et capter l'attention, solliciter l'auditeur en permanence.
Breakthrough, ouverture de l'album est un morceau somptueux, à l'intro "magique" avec piano/basse au son épais et brut qui donne tout de suite le ton, l'ambiance, on sent qu'il y a un problème, une possible prise d'otages (The visitors) des enfants, et une échappée dans le temps (a breakthrough in time) un peu fantastique...Très très fort.
My experience, superbement construit au refrain entêtant (It's been my experience that
when the row gets serious, a certain silence will fall...)
Empress's clothes aux lyrics littéraires frisant l'abscons, musicalement fiévreux...
Ophelia et son étrange
sérénité, à la guitare acoustique, avec une fin abrupte (la noyade),
Stranger Still un vrai chef
d’œuvre, chanson inusable, synthèse du talent de Hammill comme songwriter, réflexion sur la norme/ la normalité mais aussi l'individu et son isolement dans la masse, avec une extraordinaire utilisation du concept d'entropie, la musique avec de superbes lignes de piano, des guitares distordues, le break au milieu qui s’envole et le retour plus calme, Keep on shuffling the menu... Qui peut faire une chanson comme ça ? Personne d'autre. C'est du Hammill à 200 % ...
Glue lancinant et
mystérieux, réellement collant et poisseux,
Sitting Targets, à partir d'une histoire de fuyards en voiture, Hammill bascule et évoque notre capacité à nous agiter, à bouger incessamment pour essayer de (faire) croire qu'on existe...we can talk about it in the car
Sign très rock, bien construit, dont j’adore la chute, " auspicious signs"
Central Hotel, lyrics à la Edgar Poe où le narrateur devient l'hôtel, What I
did le passé, la mémoire, la réévaluation de ce qu'on a fait pour rester plongé pleinement dans le présent , Hesitation : ces trois chansons étant plus "hallucinées" et qui cognent fort en montrant que tout est possible musicalement pour PH, sans limites, sans frontières...
Un album excellent donc,
qui prouve que des mélodies rock où le "beat" est très présent ne signifient aucunement des textes simplistes (on en est très loin!). Un album que j’écoute toujours, j'y reviens régulièrement, et un peu fort (surtout qu'il sort ces jours-ci en version "nettoyée" remastérisée !)...
A la fois pour sa grande qualité d'ensemble et pour sa valeur historico-affective : il fut un déclencheur et une confirmation que la porte marquée PETER HAMMILL que j'avais entrouverte allait m'emmener loin, vers des contrées musicales et poétiques scellées par l'exigence, par le refus de tout confort ou de toute évidence.
Exactement ce pour quoi j'écoute de la musique la très grande majorité du temps.