Godbluff - cd
1975 - Van der Graaf Generator
(Hammill Banton Jackson Evans )
Que faire après
Pawn Hearts ? C’est une question à peine – vraiment à peine - valable pour ceux qui en 75, connaissant le groupe, connaissant l’album Pawn Hearts de
71, se sont procuré ce nouveau disque en se demandant ce qu’ils allaient y
trouver.
Et surtout s’ils n’oublient pas que le groupe a cessé d’exister dans
l’intervalle, ce qui répond sans doute partiellement à la question.
Et surtout s’ils
tiennent compte que les musiciens ont régulièrement travaillé ensemble sur les
disques solos de Hammill.
Et surtout s’ils tiennent compte de « Silent
Corner » solo de Hammill en 74 aux parfums vandergraafiens sur un bon tiers
des morceaux et de Nadir solo de Hammill en 75 où tout le monde est là. Comme une joie de
jouer et une énergie retrouvées après les sommets de Pawn Hearts dont
l’exigence, l'expérimentation, l'exploration et la folie avaient vidé les musiciens.
Pour les autres, la question
est juste une fausse question, surtout si on découvre les albums bien des
années plus tard, et dans le désordre en plus !
La "vraie" question est
surtout d’observer comment avec cet album le groupe est plus que jamais créatif
et tourné vers l’avant, vers le changement perpétuel. Car là on s’aperçoit que Van Der Graaf résout ce « problème » aisément sans se
préoccuper en réalité de ce qui fut et n’est plus.
Ils jouent leur musique « pied
au plancher » en faisant table rase du reste.
« Godbluff » est
peut-être moins complexe (moins d’effets électroniques par ex.) que "Pawn
Hearts" mais il ressemble à de la lave en fusion. La production
assurée par le groupe lui-même donne un son ramassé et cohérent qui densifie
tout l’album.
Incandescente, la musique est au premier plan, elle ne
s'encombre plus d'aucun effet. C’est cru, abrupt, dur, sans compromissions, parfois sauvage. Et donc éblouissant.
4 titres seulement
pour un peu moins de 35 minutes.
Undercover Man / Scorched Earth / Arrow / The Sleepwalkers .
Passionnée, la voix de Peter Hammill se fait
plus rauque et rageuse que jamais (Arrow) dans une superbe évocation
du temps aux images allégoriques extraordinaires qui évoque toutes les
«gesticulations» humaines pour échapper à son emprise alors qu’en bout de
course nous finissons tous « impaled upon the arrow ».
Funambule en
équilibre, Hammill nous emmène sur des sentiers escarpés et poignants d’abord avec
Undercover Man où l’identité,
l’introspection, l’alter ego, sont de mise puis, avec Scorched Earth, sur
l’absurdité des grandes choses au nom des grandes idées que l’Homme se donne à
faire, souvent synonymes de ravage et destruction (la politique de la terre
brûlée) …
Enfin, si Sleepwalkers est le morceau le plus long (presque 11 minutes)
il n’en est pas moins passionnant dans sa construction musicale et sa
thématique (les somnambules) laisse Hammill nous emmener sur
conscience/inconscience, nuit/jour, dédoublement de personnalité, les
créatures qui ne vivent que la nuit...La grande ambivalence de tout cela (qui est fou finalement ? qu’est-ce qui est vrai ?) est traitée avec
quelques touches d’humour noir bienvenues…y compris musicalement où un cha-cha-cha survient comme par mégarde au milieu du morceau !
Musicalement justement, puissance,
énergie, vitalité sont là, et n’oublions pas que VdGG a toujours été une
particularité côté instrumentation car sans « vrai » guitariste soliste, ni (durablement) bassiste attitré !
Banton emmène tout à l’orgue, comme une araignée qui tisse la toile sur laquelle les comparses vont s'arrimer, il jongle aussi avec les pédales de basse. Jackson
cisaille le tout de stridences au sax et d’incises douces ou mélancoliques à la
flûte. Quant à Evans il assure une rythmique feutrée et changeante, extrêmement
efficace qui n’est pas pour rien dans l’édifice que Hammill complète avec
guitare électrique et piano, une nouveauté de sa part en regard des albums
antérieurs.
Alors ?
Un album remarquable où aucun rendez-vous n’est
manqué. Par ses accents épiques, par ses moments tour à tour sensibles,
violents et écorchés, Godbluff forme un ensemble cohérent dans l’esprit,
l’inspiration poétique et la splendeur musicale. Impressionnant de talent.