Objets - 8
Mon portefeuille
Ce que j’ai en poche, ce n’est pas un portefeuille, non, c’est
un cas, c’est un paradoxe.
En plus ça lui joue des tours : voici quelques petites
choses que croit savoir mon portefeuille.
Toutes mes cartes d’adhérent sont collées entre elles.
Ma carte de réduction SNCF raccourcit les voyages en durée
comme en distance.
Ma carte de paiement achète du silence bleu.
Mon carnet de chèques plié en deux, c’est pour tirer de plus
petits chèques.
Ma carte d’identité me sert d’aide-mémoire pour savoir comment je m'appelle.
Les billets et les pièces qu’il contient, je les ai en
faisant la manche.
Ma carte vitale me permet de savoir et de prouver à tout moment que je
suis vivant.
Ma carte de la médiathèque contient une bibliothèque
complète miniaturisée.
Ma carte d’électeur est un atout maître.
Ma carte de fidélité, je l’ai eue en mairie, quand je me
suis marié.
Mon permis de conduire est rose parce qu’il a déteint dans
un paquet de Bonux.
Mes photos de famille sont à part parce que je n’avais plus
de place sur mon permis de conduire.
Peut-on l’excuser de telles approximations ? Examinons cela.
Tout d’abord, comment un tel objet, accessoire en principe très
petit, peut-il contenir sans dommage autant d’informations, en véritable annexe
des renseignements généreux ?
Même en cuir, il est – par son contenu - l’équivalent
synthétique (au masculin) du sac à main féminin et, à ce titre, mon portefeuille
se pose d’emblée en concurrent direct de l’armoire du service des archives.
Si son contenu rend son statut parfois incertain, on ne peut
toutefois le confondre avec ma boîte à outils que, lucidement, je prends
soin de ranger dans mon garage.
Alors, comment s'étonner, se sentant indispensable et plus qu’important par tout ce que je lui "confie", du coup,
mon portefeuille se la pète grave.
Il se prend certains jours j’en suis sûr pour un peintre qui
organise sur sa palette toute une série de couleurs, tissant sa toile de taches,
papiers divers qu’il superpose en une matière épaisse.
D’autres fois, il se voit millefeuilles… Les différentes
strates qui le composent mêlent plastique, papier, bristol, carton bouilli,
alliages métalliques… Tout ça dans une superposition plus qu’indigeste d’informations
nichées dans des poches et des rabats, des onglets trop resserrés… sans parler
du « coffre-fort ».
Caché, secret, qu’on ne découvre pas d’emblée : un minuscule
compartiment ultra -plat et ridicule qui renferme la menue monnaie, ces tout
petits centimes d’euros marron, insaisissables, et pas seulement parce que la fermeture-éclair est désespérément coincée neuf fois sur dix…
Voilà qui devrait rendre mon portefeuille beaucoup plus modeste…
mais non.
Le con.
Monsieur joue j’en suis sûr les directeurs de conscience, son
côté « je sais tout de toi » a tendance à lui faire prendre du poids,
et j’imagine avec une joie quelque peu vengeresse les contorsions intenses
qu’il exécute pour comprimer ce que je lui fais avaler.
Mon portefeuille, à défaut d’être quelqu’un ou de se
prendre pour moi, je vous le dis : c’est quelque chose !